Séminaire du 14 mars 2024 avec Pierre Januel
Pourquoi les parlementaires méconnaissent-ils autant le droit parlementaire ?
Le 14 mars 2024, Pierre Januel, journaliste, observateur aguerri de droit parlementaire, a présenté l’ouvrage dont il est le co-auteur (avec Vito Marinese) portant sur la Fabrique de la loi aux éditions Les petits matins. Généraliste, pédagogique, le manuel de la Fabrique de la loi s’adresse à tous, et permet de s’immiscer, concrètement, dans les coulisses de l’élaboration de la loi pour en comprendre les rouages !
Le séminaire s’est déroulé en deux temps. D’abord, l’auteur a présenté une introduction permettant de cerner l’esprit entourant la confection de l’ouvrage, plus spécifiquement sur la méconnaissance par les parlementaires… du droit parlementaire ! Puis, la discussion scientifique s’est poursuivie avec les discutants, corrélée à un échange avec les enseignants titulaires, vacataires, et doctorants présents.
I- Propos liminaires : « Les parlementaires méconnaissent le droit parlementaire »
Pierre Januel défend le parti-pris selon lequel « les parlementaires ne sont pas des juristes, plus encore, ils ne veulent pas l’être ». Le droit est au service de la politique, la loi en tant que telle se concevant comme objet politique. En témoigne la règle du précédent représentant une part majeure du droit parlementaire. Corrélativement, et reprenant Bagehot, le Parlement ne se résume pas à sa mission législative mais à un éventail de fonctions qui lui sont inhérentes – « élective, expressive, pédagogique, informative et législative » et partant, le droit ne serait « toujours qu’un moyen parmi d’autres de remplir ses fonctions ».
Corrélativement, les parlementaires ne disposent pas des ressources suffisantes pour connaître les rouages du droit parlementaire. L’auteur regrette ainsi la faiblesse des moyens mis à leur disposition. La fonction publique parlementaire les « accapare » et les seuls moyens alloués aux élus ne le sont qu’indirectement (collaborateurs). L’éclatement des groupes parlementaires conduisant à une « dilution » des ressources entre eux accentue cette vision.
II- La discussion scientifique : constats unanimes et pistes d’évolutions en suspens
Avant d’entrer dans le vif du sujet, le Professeur Blachèr s’interroge sur le choix donné à l’intitulé. L’ouvrage s’attache au fonctionnement même du Parlement, débordant le thème de la « Fabrique de la loi » (ex : contrôle, résolutions…) rejoignant la production parlementaire de façon plus large. L’auteur se défend en ce que le contrôle constitue la première étape vers une loi future et non pas fin en soi. L’ouvrage se sépare en deux parties, l’une consacrée aux acteurs, la seconde au lieu de la délibération.
Le Professeur Blachèr s’interroge sur la définition même du droit parlementaire qui apparaît tautologique : est-ce le droit du parlement ou le droit que le Parlement s’applique à lui-même ? Serait-ce un droit spécial où les pratiques constitueraient la source majeure ? Il poursuit sa réflexion sur la question du droit au service du politique. Le droit parlementaire se construit-il sur la règle du précédent ou sur les règlements internes des chambres ? Le discutant souligne alors la tendance à l’encadrement des pratiques parlementaires : projets de loi sur la confiance, la moralisation, etc. Le gouvernement devient à l’origine de règles plus nombreuses, réduisant la marge de manœuvre des élus. En tout état de cause, le droit reste prioritaire. Pierre Januel reconnaît un effort de codification croissant du droit parlementaire, essentiellement dans certains domaines, notamment sur la déontologie.
Le constat du discutant est celui d’une domination des administrateurs dans l’élaboration de la loi, face à des élus qui n’en maîtrisent pas (plus ?) l’exercice. Corrélativement, dans la mesure où les mécanismes de rationalisation existent (irrecevabilités), les administrateurs détiennent un rôle important (bien qu’ils n’aient pas l’assentiment final). En outre, les rapports de force sont anticipés et négociés afin de s’assurer de la prévisibilité dans la décision : « Le rapporteur est la tour de contrôle qui négocie avec sa majorité, le gouvernement, les acteurs extérieurs pour aboutir à une sorte de prévisibilité ».
La question du droit d’amendement a, pour sa part, suscité des oppositions. Selon le Professeur Derosier, l’amendement se déploierait dans une proportion nuisible au débat démocratique. La discussion s’est alors poursuivie sur les pistes à adopter pour encadrer le droit d’amendement. S’oppose la logique de représentativité des groupes, que promeut Pierre Januel, à celle de l’administration, prônant moins de groupes, à laquelle souscrivent les Professeurs Blachèr et Derosier. Pierre Januel émet alors la proposition de suppression du droit d’amendement individuel, mais l’impact sur les non-inscrits a été accueilli avec peu d’engouement. Une proposition avec un temps global de parole pour les non-inscrits s’est alors dessinée mais les modalités pratiques d’une telle introduction paraissent fastidieuses.
Le Professeur Derosier évoque la réforme du cumul des mandats ayant conduit à un profond renouvellement des chambres, affaiblissant un parlement du fait des néo-arrivants (ex. 2017). Pierre Januel pose alors la question plus large de savoir quelle est l’utilité d’un parlementaire. Au fond, explique-t-il, « on a abouti au Parlement sans cumul sans réfléchir à ce qu’il pourrait représenter ».
Le séminaire s’achève sur les propos du Professeur Cartier, ouvrant la voie sur un potentiel sujet de séminaire : l’usage de l’intelligence artificielle sur l’écriture de la loi.