Présentation

À la recherche de la confiance disparue

La Chaire d’études parlementaires a été inaugurée le 1er octobre 2023 à l’Université de Lille. Son objectif est de constituer un centre d’intérêt pour ces études scientifiques et de les promouvoir, à partir d’une méthodologie baptisée la « science constitutionnelle ». La Chaire d’études parlementaires de l’Université de Lille a ainsi une triple vocation : (1) identifier un espace scientifique où des recherches sur le Parlement sont réalisées ; (2) diffuser le savoir sur le Parlement, en lui conférant une plus grande visibilité ; (3) explorer des sujets en profondeur, sous différents angles, par des cycles de thématiques scientifiques.  

La confiance ne se décrète pas, elle s’inspire. C’est là toute la difficulté qu’elle soulève : la perte de confiance peut être soudaine, mais la recouvrer est nécessairement un travail au long cours. La France de la Ve République, à l’instar de la plupart des systèmes démocratiques contemporains, n’y échappe pas : la défiance, voire la méfiance s’y propagent comme l’eau dans un delta. Les facteurs en sont multiples et parfois anciens : taux d’abstention croissant d’élection en élection, comportements non déontologiques des responsables politiques, violences verbales mais aussi physiques contre les élus, voire de la part des élus eux-mêmes, crise des vocations démocratiques. Ces facteurs de rejet du système représentatif s’entretiennent ensuite mutuellement, rendant les moyens de rétablissement de la confiance d’autant plus difficiles à déployer.

Hormis en 2009, la part des Français considérant que la démocratie fonctionne bien dans notre pays est moindre par rapport à ceux qui pensent le contraire. En 2024, l’écart est particulièrement creusé : 68% contre 31%. Aujourd’hui, les Français ont ainsi beaucoup moins confiance dans l’Assemblée nationale (29%), pourtant chargée de représenter les intérêts du peuple, que dans les grandes entreprises, publiques (51%) ou privées (46%), tournées vers le profit et le capital. Si, en 2009, la confiance dans ces dernières était déjà plus élevée (publiques à 50% et privées à 41%) que celle dans l’Assemblée nationale (38%), l’écart était plus ramassé et, surtout, là où la confiance dans l’Assemblée baisse, celle dans les entreprises augmentent[1].

Toutefois, des moyens sont déjà déployés afin de rétablir cette confiance dans la démocratie représentative : renforcement des règles de transparence et déontologiques, mesures facilitant l’inscription sur les listes électorales, changement des comportements des élus qui se rendent plus disponibles, réformes du statut de l’élu pour mieux le protéger. Néanmoins, une fois la défiance installée, le retour à une situation de confiance prend du temps et on ne pourra en percevoir les effets éventuels que dans plusieurs années.

D’autres propositions sont encore formulées, tant par le monde politique que dans le milieu scientifique. À cet égard, certaines d’entre elles ont été élaborées au sein du GRÉCI – Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions – qui s’est réuni au cours de l’année 2023. Afin de permettre aux citoyens de s’exprimer davantage et d’être mieux associés à la prise de décision politique, il a ainsi été suggéré d’élargir le champ référendaire[2], d’améliorer les initiatives citoyennes[3], de créer des assemblées citoyennes tirées au sort[4]. De telles mesures ont certainement leurs vertus… mais aussi leurs travers. Les systèmes dans lesquels elles peuvent déjà avoir été déployées ne connaissent pas nécessairement une meilleure adhésion au système démocratique ou une plus grande participation citoyenne[5]. Ainsi, la défiance n’est pas tant marquée par l’absence de moyens d’expression – qui existent bel et bien – que par la croyance que ces moyens ne sont ni utiles ni efficaces. C’est donc sur ce dernier terrain qu’il faut agir.

Un régime politique ne peut valablement fonctionner et perdurer qu’à la condition d’être accepté par ceux auxquels il se destine car, sinon, ils finiront par le remettre en cause. Or une telle acceptation ne peut être donnée une fois, de façon définitive, mais doit être confirmée à chaque instant, avec la possibilité d’être nuancée. Tel est le propre de la démocratie, qui est en mesure d’évoluer et de s’adapter aux attentes de ceux auxquels elle s’adresse, les citoyens, car, selon la célèbre formule, elle correspond au « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple »[6]. La décision émane du peuple lui-même ou elle est prise en son nom et, en tout état de cause, elle lui est destinée et doit servir ses intérêts. Pour qu’il puisse le saisir, le peuple doit ainsi connaître et comprendre les règles de la démocratie.

À ce titre, un autre chantier mérite d’être investi : l’enseignement et la recherche.

[1] Tous ces chiffres sont issus du Baromètre de la confiance publique établi par le CEVIPOF (Sciences Po) et peuvent être retrouvés dans la « Vague 15 » de février 2024.

[2] Proposition n° 38 du GRÉCI, à retrouver sur la plateforme www.legreci.fr.

[3] Propositions n° 40, 42 et 49 du GRÉCI, ibidem.

[4] Propositions n° 46 et 47 du GRÉCI, ibidem.

[5] La Suisse constitue ici un bon exemple : la moyenne de la participation électorale annuelle oscille entre 40% et 50%, cf. Office fédéral de la statistique, https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/politique/votations/participation.html.

[6] On attribue généralement la paternité de cette formule reprise à l’article 2 de la Constitution française à Abraham, car il l’a prononcée lors de son allocution de Gettysburg, le 19 novembre 1863. Malgré tout, il semblerait qu’il n’en soit pas l’auteur original : on en trouverait une première version chez les philosophes de l’Antiquité grecque, on la retrouverait ensuite dans la Préface de la traduction de la Bible par John Wyclif (au XIVe siècle), puis, bien plus tard mais à une époque proche de Lincoln, dans les écrits et discours des juristes et des premiers présidents des États-Unis, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe ; on retrouvera tous ces points, développés et justifiés chez John L. Haney, « Of the People, by the People, for the People », in Proceedings of the American Philosophical Society, Vol. 88-5 (1944), pp. 359 à 367.

Enseignement et recherche au service de la confiance

L’enseignement dès le plus jeune âge des fondements et du fonctionnement de la démocratie contribuerait à en faire un réflexe dans l’esprit des futurs citoyens : aujourd’hui, nous savons tous lire, écrire et compter car nous l’apprenons dès le début de la scolarité. Associer des chiffres ou des lettres, les décrypter et les comprendre est ainsi un réflexe. Ce réflexe peut être étendu au fonctionnement démocratique, par le déploiement de son apprentissage à la même échelle afin que, demain, nous sachions tous lire, écrire, compter… et voter[1]. Un tel apprentissage, naturellement adapté en fonction du public et des âges, contribuera à l’éveil citoyen et à la prise de conscience que la vie dans une société démocratique suppose de s’y associers.

Par ailleurs, la recherche scientifique est également un pilier d’une société, qu’elle relève de sciences fondamentales, expérimentales ou sociales : elle éclaire le fonctionnement du monde dans lequel on vit. Quant au sujet spécifique des démocraties et de la confiance, promouvoir la recherche en ce domaine contribue à porter à la connaissance de tous la diversité et la subtilité des règles – juridiques, politiques, sociales – qui nous permettent de vivre en société. En particulier, les études relatives aux institutions démocratiques et, tout d’abord, au Parlement sont primordiales : une démocratie ne peut fonctionner qu’à travers les institutions qui la font vivre et suppose ainsi des citoyens qui y participent, par leur implication et leur confiance.

Les études parlementaires, sujet qui nous occupe particulièrement, ont ainsi des conséquences essentielles sur le fonctionnement de la démocratie : offre partisane et politique, élaboration de la loi, équilibre des pouvoirs. Ces études sont d’abord scientifiques et destinées à un public de spécialistes, mais elles ont vocation à irriguer la connaissance de toute la société. En effet, mieux on connaît les institutions à l’origine de la loi qui régit nos comportements, mieux la confiance pourra s’installer et circuler.

[1] Proposition n° 37 du GRÉCI, à retrouver sur la plateforme www.legreci.fr.

Une Chaire d’études parlementaires dédiée à la science constitutionnelle

Afin de participer à cette dynamique, une Chaire d’études parlementaires a été inaugurée le 1er octobre 2023 à l’Université de Lille. Elle relève de l’Initiative d’excellence de l’Université (iSite) et des Objectifs de développement durable auxquels elle a souscrit, s’inscrivant dans l’ODD 16, « Paix, justice et institutions efficaces ». Son objectif est de constituer un centre d’intérêt pour ces études scientifiques et de les promouvoir, à partir d’une méthodologie baptisée la « science constitutionnelle ». S’appuyant sur la complémentarité entre sciences juridiques et sciences politiques, cette science constitutionnelle tend à analyser les institutions, d’abord à partir des normes qui les établissent et déterminent leur régime et, ensuite, à l’aune de leur mise en œuvre par les acteurs concernés (élus, administrateurs, citoyens).

La Chaire d’études parlementaires de l’Université de Lille a ainsi une triple vocation. Il s’agit, d’une part, d’identifier un espace scientifique où des recherches sur le Parlement sont réalisées, d’ailleurs depuis plusieurs années[1]. La Chaire permettra ainsi d’attirer des savoirs et des talents, renforçant la dynamique sur les études parlementaires. Elle entend également accueillir, soutenir et promouvoir tous ceux qui souhaitent travailler sur ces sujets, en leur facilitant l’accès à des réseaux de grande échelle, au niveau national et international. Des partenariats se tissent d’ores et déjà entre la Chaire et les institutions politiques françaises, européennes et internationales, ainsi qu’avec d’autres laboratoires ou structures qui se consacrent à la recherche en matière parlementaire.

D’autre part, elle permettra de diffuser le savoir sur le Parlement, en lui conférant une plus grande visibilité. Une plateforme électronique sera mise en place, permettant d’accueillir des contributions destinées à éclairer les études parlementaires. Elles seront principalement de deux ordres : des réflexions brèves présentant un point d’actualité parlementaire, en France ou à l’étranger et des analyses plus approfondies sur des sujets de fond. De surcroît, des initiatives à destination des étudiants seront élaborées, pour les placer au cœur du processus parlementaire (simulation de la procédure législative, de questions au Gouvernement, de commission d’enquête, etc.). De même, des formations à destination de ceux qui veulent parfaire leur connaissance en matière parlementaire (collaborateurs d’élus, journalistes, etc.) pourront être proposées.

Enfin, la Chaire entend explorer des sujets en profondeur, sous différents angles. Ainsi, des thématiques scientifiques seront arrêtées pour constituer un cycle, permettant d’organiser des conférences et des séminaires, ouverts aux chercheurs et aux étudiants et se clôturant par une journée d’études de restitution. Le premier thème sera dédié à « La présidence des assemblées ». Institution connue de tous, notamment grâce à la visibilité qu’une telle fonction confère, elle mérite néanmoins d’être étudiée plus en profondeur pour cerner ses spécificités, la nature de ses compétences en matière constitutionnelle ou législative, son impact sur la vie politique.

[1] On peut notamment citer le ForInCIP, Forum International sur la Constitution et les institutions, organisé à l’Université de Lille depuis 2017 (cf. les travaux publiés dans « Les Cahiers du ForInCIP » aux éditions LexisNexis), et le projet sur « le Parlement et le temps », ayant donné lieu à plusieurs manifestations et publications (par exemple, Emmanuel Cartier, Basile Ridard, Gilles Toulemonde (dir.), L’impact de la crise sanitaire sur le fonctionnement des parlements en Europe, Publications de la Fondation Robert Schuman, 2020, 166 p.).