Si la rentrée parlementaire est officiellement annoncée pour le mardi 1er octobre 2024, certains députés sont déjà à l’œuvre avec, notamment, le dépôt de plusieurs demandes de contrôle. Parmi ces demandes, la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’organisation des pouvoirs publics et au respect des principes démocratiques depuis les élections législatives de 2024 retient l’attention.
Conformément au règlement de l’Assemblée nationale, cette proposition de résolution a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale pour être ensuite transmise à la commission permanente compétente, la commission des Lois. Cette dernière est alors chargée de procéder à l’examen de recevabilité de la demande. Sans présager de son issue, la création d’une commission d’enquête sur ce sujet interroge et soulève d’importants enjeux en termes de séparation des pouvoirs.
L’examen de recevabilité de la proposition de résolution s’opère selon deux aspects.
En premier lieu, la commission des Lois doit vérifier que les conditions juridiques requises pour la création d’une commission d’enquête sont réunies.
La proposition doit, tout d’abord, « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion » (Article 137 du règlement de l’Assemblée nationale, RAN). Portant soit sur des « faits déterminés », soit sur la gestion d’un service public – alors interprété largement pour couvrir les « pouvoirs publics » –, l’objet soumis à investigation, comme indiqué en son article unique, semble être délimité avec une précision suffisante. La commission vise en effet « à examiner et évaluer les pouvoirs exercés par le gouvernement démissionnaire et l’impact de cette situation institutionnelle singulière sur l’organisation des pouvoirs publics, la bonne application des principes démocratiques, entre le 8 juillet 2024 et son remplacement par un nouveau gouvernement ». Ensuite, la proposition pourra être déclarée irrecevable si elle est constituée sur le même objet qu’une commission antérieure « avant l’expiration d’un délai de douze mois » (article 138 RAN) ou encore si elle vise à enquêter sur des faits « ayant donné lieu à des poursuites judiciaires » (article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 ; article 139 RAN) La demande ne semble poser aucune difficulté quant à ces différentes interdictions.
Ainsi, sur cet aspect juridique, la proposition apparaît respecter les conditions de recevabilité. Toutefois, l’examen ne se limite pas à ce seul aspect : la commission des Lois doit, en second lieu, se prononcer sur l’opportunité de la demande (article 140 RAN).
C’est là que le bât blesse et que de nombreuses propositions de résolution ont été rejetées. En l’occurrence, la commission permanente s’intéressera, sans aucun doute, à l’objet de contrôle visé. Si son article unique précise que les investigations porteront sur les pouvoirs du gouvernement démissionnaire, l’exposé des motifs met en évidence qu’il ne constitue que l’arbre qui cache la forêt et vise le Président de la République. Aussi, au regard du contexte actuel, il apparaît clair que cette demande formulée par la « gauche » (elle est portée par des députés issus de trois des quatre groupes politiques constituant le Nouveau Front Populaire, NFP) exprime un clair mécontentement et désaveu, une défiance manifeste à l’encontre du chef de l’État, principal responsable du caractère inédit de la situation politique que connaît actuellement la France.
Or, si le Président de la République n’est pas une limite explicite et expresse du domaine d’investigation des commissions d’enquête (aucune mention n’est faite ni dans l’ordonnance de 1958, ni dans les règlements d’assemblées), il en est traditionnellement exclu en raison de la forme du régime de 1958. En effet, dans tout régime parlementaire, le chef de l’État bénéficie du principe de l’irresponsabilité politique devant le Parlement, échappant ainsi à tout contrôle parlementaire. Sur ce fondement, toute demande qui souhaite s’intéresser, de près ou de loin, à l’action politique du Président de la République est rejetée, alors considérée comme contraire à la séparation des pouvoirs. Un précédent connu réside dans la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les sondages de l’Élysée en 2009 qui avait été jugée irrecevable.
Toutefois, la Ve République n’est pas un régime parlementaire classique : elle connaît une primauté présidentielle. C’est dire le poids du chef de l’État dans le fonctionnement des institutions, poids alourdi par le contexte politique de fait majoritaire faisant du Président celui qui « détermine et conduit la politique de la Nation ». Si cette primauté dépend également de sa personnalité, celle du Président Emmanuel Macron ne mérite pas plus de développement que le qualificatif de président « jupitérien ». Dans ce contexte, le principe d’une absolue irresponsabilité politique du chef de l’État, échappant à tout contrôle parlementaire, est difficilement concevable dans une démocratie comme la France, qui plus est, dans la situation actuelle. Aussi, des exemples contraires laissent supposer une possible inflexion dudit principe, largement déterminé par le contexte politique : la commission d’enquête sur les avions renifleurs en 1984, celle sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye en 2008 ou encore, dernièrement, celle sur l’affaire Benalla en 2018 (malgré son triste sort). On peut encore ajouter l’audition de deux anciens chefs de l’État par la commission d’enquête relative à la souveraineté et l’indépendance énergétique en 2023.
Or, la configuration politique tout à fait particulière de l’Assemblée nationale, où aucune majorité claire ne se dessine, et la composition même de la commission des Lois sont des facteurs influents sur l’issue positive ou négative de l’examen en recevabilité et, notamment, dans l’appréciation de l’opportunité de la demande formulée.
Un dernier élément interroge : la fenêtre temporelle choisie. Alors que les auteurs de la proposition appartiennent chacun à un groupe politique qui s’est déclaré d’opposition, le recours au droit de tirage apparaît judicieux. Son exercice présente d’ailleurs plusieurs avantages dont l’exclusion du contrôle de recevabilité de toute appréciation en opportunité (article 140, al. 2 RAN). De plus, si son adoption pouvait être rejetée à la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée, elle est, depuis 2014, de droit dès lors que les conditions de recevabilité sont remplies (article 141, al. 2 RAN). Ce qui ne garantit pas, pour autant, la création automatique de la commission d’enquête : la proposition demeure soumise à un examen de recevabilité où peut se glisser une appréciation politique de son objet (à l’instar de 2009). Encore faut-il que ce droit soit exercé au cours d’une session ordinaire.
Si la patience est mère de toutes les vertus, il serait peut-être plus opportun d’attendre la rentrée parlementaire officielle.