Une dissolution inévitable

La Chaire Une dissolution inevitable

Par Jean-Philippe DEROSIER, Professeur de droit public à l’Université de Lille

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

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Alors que le Président de la République nous avait habitué, depuis 2017, à être le « maître des horloges », on pourrait croire qu’il a cédé à la précipitation en prononçant, dès le soir des élections européennes, la dissolution de l’Assemblée nationale. Pourtant, cette décision ne doit rien au hasard.

En effet, le résultat de ces élections ont traduit un véritable séisme pour la France et une véritable déroute pour la majorité présidentielle, donc pour le Président de la République qui s’était personnellement impliqué dans la campagne électorale. L’extrême droite avoisine les 40% des voix (avec les listes de Jordan Bardella, de Marion Maréchal-Le Pen et de Florian Philippot), le Rassemblement national n’a jamais été aussi haut, à plus de 30%, tandis que la liste de la majorité demeure en-dessous des 15%, en seconde position. Une telle débâcle électorale supposait d’en prendre la mesure et imposait donc une réaction politique et institutionnelle.

Seule la dissolution permet une respiration démocratique et de mettre fin à une législature pour le moins houleuse

Classiquement, dans de telles circonstances, le Premier ministre sert de fusible et il est limogé. Un nouveau Gouvernement est nommé et un changement de politique est acté. C’est ce qui s’est passé, par exemple, en 2014, après les élections municipales calamiteuses pour la gauche au pouvoir.

Cependant, le Chef de l’État avait déjà décidé de renvoyer la Première Ministre, Élisabeth Borne, en janvier dernier, d’ailleurs sans raison aucune. Il lui était dès lors difficile, moins de cinq mois plus tard, de faire de même alors que les électeurs viennent de lui adresser un message très clair et que tout élargissement de sa majorité paraissait vain, la fin de non-recevoir du Président du Sénat ne faisant que le confirmer. Par conséquent, les options s’offrant à lui étaient bien peu nombreuses : sa propre démission, un référendum, une dissolution.

La première hypothèse ne paraît guère raisonnable, d’autant moins de la part de celui qui veut à tout prix éviter de confier le pouvoir à l’extrême droite. Le contexte électoral laisse supposer que le pari serait extrêmement risqué, d’autant plus qu’Emmanuel Macron ne pourrait pas se présenter, puisque la Constitution lui interdit d’exercer plus de deux mandats consécutifs (peu importe ici que le second ne soit pas achevé, le mandat est en cours et il s’agit bien du deuxième). L’option du référendum aurait sans doute été insuffisante, car on ne peut interroger les Français que sur un sujet spécifique, celui d’un projet de loi, auquel ils ne peuvent répondre que par « oui » ou par « non ». Il ne restait donc que la dissolution, permettant une respiration démocratique et de mettre fin à une législature pour le moins houleuse.

Ce faisant, le Président de la République prend évidemment un risque : celui d’être confronté à une majorité qui lui serait hostile et, pis !, à une majorité d’extrême droite. Cependant, à ce jour, ce n’est que pure hypothèse et il faut attendre que la campagne se fasse et que les électeurs se prononcent. Le scrutin des législatives est nettement différent de celui des européennes, tant sur les enjeux que sur les règles. Les enjeux concernent le quotidien des Français, ces élections permettant de déterminer la couleur du Gouvernement, donc la politique conduite pendant les prochaines années, là où les questions européennes peuvent paraître plus éloignées. Les règles, quant à elles, imposent un scrutin majoritaire, à deux tours qui n’a jamais été favorable aux extrêmes, jusqu’à présent. Ce n’est guère suffisant pour garantir que l’extrême droite n’aura pas de majorité, mais assez pour ne pas le considérer comme un fait acquis.

De surcroît, le Président de la République fait sans doute le pari que, si le Rassemblement national devait l’emporter, il accèderait certes à Matignon, mais sous la vigilance de l’Élysée. À l’inverse, en l’emportant en 2027, le pouvoir serait bien plus étendu. Un pari extrêmement risqué.

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