Tempête budgétaire autour des budgets de l’Elysée, de l’Assemblée nationale et du Sénat

budget

Par  Stéphanie DAMAREY,  Professeure de droit public à l’Université de Lille.

L’affaire a fait grand bruit : avec le projet de loi de finances pour 2025, les crédits dédiés à l’Elysée, à l’Assemblée nationale et au Sénat étaient présentés en augmentation par rapport à l’année précédente. A cela, rien d’étonnant si l’on décide d’indexer sur l’inflation le montant de ces crédits. Au taux de 1,7 %, les crédits de l’Assemblée nationale s’établissaient à 618 millions d’euros et à 359 millions d’euros pour le Sénat.

Mais pour l’Elysée, l’augmentation prévue faisait passer les crédits de 122,6 millions d’euros à 125,7 millions d’euros, soit une augmentation de 2,5 % – au-delà donc de la hausse globale des prix retenue par le projet de budget.

Même justifiée et donc cantonnée aux seuls effets de l’inflation, une telle augmentation donnait, d’emblée, un très mauvais signal alors que le reste des dépenses publiques de l’Etat doit, dans son ensemble, emprunter la voie de l’austérité.

Le tollé suscité par ces prévisions d’augmentation devait conduire les concernés à y renoncer. En y renonçant, le Parlement permet une économie de 16 millions d’euros. Pour l’Elysée, l’économie est de 3 millions d’euros.

C’est probablement peu en considération des montants en jeu et alors que le déficit du budget de l’État se trouve accentué de près de 100 milliards d’euros. Encore plus en considération des montants d’endettement publics (plus de 3,2 billions d’euros) mais sur le principe, il ne pouvait pas en aller autrement.

A ce sujet, on relèvera le discours très nuancé du nouveau Ministre des comptes publics, disant avoir compris que de telles augmentations puissent questionner et qu’un « débat existe là-dessus », il estimait dans le même temps que « les Français ont aussi besoin d’institutions solides, ont aussi besoin de représentants qui puissent bien faire leur travail. Si le Parlement décide autrement, il est souverain » (Propos tenus sur TF1, le 12 octobre). Un juste respect de la séparation des pouvoirs de la part de Laurent Saint-Martin, anciennement député, fin connaisseur de droit public financier en tant qu’artisan principal (avec son collègue Eric Woerth) de la réforme de la LOLF en décembre 2021.

Soit. Mais très clairement, on imagine mal que le Parlement puisse refuser une telle adaptation de ces crédits de la mission Pouvoirs publics. Ce serait un message totalement inaudible. On s’attend donc à ce que, à l’occasion des débats parlementaires concernant l’examen du projet de loi de finances pour 2025, le Parlement donne suite à ces déclarations d’intention et entérine les renoncements de l’Elysée et des assemblées parlementaires à l’augmentation de leur dotation, respectivement formulé par le Président de la République par les Présidents des assemblées.

Relevons que ces dernières années, ces lignes de crédit ont singulièrement augmenté. L’effort est donc tout relatif et on aurait pu s’attendre à ce que, de manière plus déterminée, il soit envisagé une diminution de ces dotations.

On relèvera également la constance de ces lignes de crédit sur certaines périodes – indépendamment des effets de l’inflation, ce qui tranche avec les augmentations constatées ces dernières années.

Pour l’illustrer : 

 

Elysée

Variation

AN

Variation

Sénat

Variation

2024

122,56

10,95%

607,65

6,42%

353,47

2,07%

2023

110,46

4,90%

571

3,35%

346,29

2,28%

2022

105,30

0,00%

552,49

6,68%

338,58

4,64%

2021

105,30

-0,02%

517,89

0,00%

323,58

0,00%

2020

105,32

5,32%

517,89

0,00%

323,58

0,00%

2015

100

-11,13%

517,89

-3,00%

323,58

-1,25%

2010

112,53

 

533,91

 

327,69

 

Reste que le sujet ne saurait s’arrêter là. Une chose est de préciser le montant des crédits en loi de finances, une autre est d’apprécier en cours et en fin d’exécution budgétaire, que ces prévisions initiales ont bien été respectées et n’ont pas donné lieu à une augmentation des crédits concernés. La Cour des comptes a ainsi constaté, pour l’année 2023, une augmentation de 6,6 millions d’euros des crédits de paiement de l’Elysée dont une partie a été justifiée par la reprise des déplacements présidentiels à l’étranger dans un contexte d’inflation élevé.

Du côté de l’Assemblée nationale et du Sénat, l’exécution budgétaire s’est avérée conforme aux prévisions initiales. Mais avec les augmentations précédemment évoquées, c’est le moins que l’on pouvait attendre.

Indépendamment, il faut considérer que les déclarations d’intention ne valent que s’il est possible d’en vérifier la réalisation. Et alors que les crédits se trouvent abondés en cours d’année, il faut avoir la possibilité de demander aux concernés de rendre des comptes sur l’emploi fait de ces crédits.

Sur la période récente, l’exercice se trouve quelque peu grippé, alors que pour les trois derniers exercices budgétaires (2023, 2022 et 2021), le projet de loi portant approbation des comptes a été rejeté par le Parlement (dernièrement, ce 14 octobre 2024 par l’Assemblée nationale pour le projet de loi concernant l’exercice 2023).

Mais c’est là l’intérêt de l’exercice : que le Parlement ne soit pas une simple chambre d’enregistrement et qu’il ait la possibilité, par son rejet du texte, d’exprimer son mécontentement sur la manière avec laquelle le budget a été exécuté.

Avec une problématique : ce sont désormais trois exercices budgétaires qui se trouvent non clôturés. Jusqu’à présent, le Gouvernement s’est refusé à utiliser l’article 49 al. 3 pour forcer l’adoption du texte. Ayant déjà fait largement usage de ces dispositions pour forcer l’adoption des projets de lois de finances initiaux des derniers exercices budgétaires, on peut comprendre que le Gouvernement n’ait pas souhaité en rajouter.

Cela révèle surtout une certaine inutilité de la loi d’approbation des comptes. Car tout le monde l’aura remarqué : ces rejets n’emportent aucune conséquence.

Probablement faut-il inverser la vapeur et imaginer une autre méthode. Les Professeurs Aurélien Baudu et Xavier Cabannes ont proposé une approbation tacite du texte sauf dans l’hypothèse où la Cour des comptes refuse de certifier les comptes, ceci justifiant un examen parlementaire du texte (1). 

Il est également possible d’envisager que le projet de loi d’approbation des comptes, une fois soumis au vote des assemblées parlementaires, puisse être considéré comme adopté, sauf à ce que le Parlement s’y oppose expressément. Ceci afin d’éviter que le dispositif ne soit concentré sur le seul refus de certifier de la Cour des comptes. Cette dernière n’a jamais refusé de certifier les comptes, préférant formuler des réserves substantielles. Cela permettrait au Parlement de conserver la main, indépendamment de la position de la Cour des comptes.  

 

(1) Tribune Le Point, 5 juillet 2023, Validation des comptes publics : changeons de méthode !

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