« Monsieur le Premier ministre ». Ce gimmick a raisonné à huit reprises mercredi 2 octobre 2024, à l’occasion de la première séance des questions au gouvernement (QAG) de la 17e législature. Huit des onze députés porteurs de questions ont cherché à interroger directement le Premier ministre, trois seulement désignant un autre destinataire. Le Premier ministre n’a pourtant répondu que deux fois, sélectionnant ses interlocuteurs. Il a ainsi refusé de répondre à Nicolas Metzdorf, orateur du groupe EPR, qui avait choisi de l’interroger sur l’abandon du dégel du corps électoral en Nouvelle Calédonie annoncé la veille devant l’Assemblée et ayant provoqué le départ d’une partie des députés du groupe macroniste. Sur le même sujet, il a préféré répondre à l’orateur du groupe GDR. Cette liberté du Premier ministre nous conduit à questionner les usages qui encadrent ce rite parlementaire ?
Inutile de revenir sur la naissance conventionnelle des QAG en 1974 (le lecteur désireux d’en apprendre d’avantage pourra se plonger dans les actes de la journée d’étude organisée à Sciences Po Lille en mars 2024 consacrée à cette question et bientôt publiés). Depuis, la Constitution et les règlements ont été modifiés pour laisser aux assemblées une plus grande latitude dans l’organisation de ces questions qui, par définition, s’adressent à tout le gouvernement et, en dehors de l’expérimentation des « questions au Premier ministre », aujourd’hui abandonnée, ne peuvent utilement viser un interlocuteur déterminé. Si elles sont habituellement rattachées au contrôle, elles participent surtout à la fonction tribunicienne des assemblées. Ces dernières cherchent d’ailleurs à assurer le dynamisme de ces séances. Pour preuve les deux assemblées ont aujourd’hui reconnu un droit de réplique. Elles ont également séquencé les questions : alternance d’orateurs appartenant à la majorité et à l’opposition et, à l’Assemblée, deux séances de QAG remplacent la séance unique introduite en 2019, tunnel de deux heures qui avait conduit les députés à déserter l’hémicycle. De même, pour revivifier les questions, les assemblées cherchent à en préserver la spontanéité. L’article 15 de l’IGB insiste sur ce caractère en précisant qu’« elles ne sont ni déposées, ni notifiées, ni publiées ». Les députés n’ont ainsi pas l’obligation d’indiquer en amont la thématique de la question. Les usages sont évidemment fonction de l’appartenance du député à la majorité ou à l’opposition. Dans le second cas, seul le nom de l’orateur est, sauf exception, accessible au gouvernement. A lui de déterminer, en fonction de l’actualité, de la personnalité du parlementaire ou de sa circonscription quel sera l’objet de la question. Dans le premier cas, il est habituel que le groupe communique au gouvernement le sujet de la question. Les usages dépendent également des chambres. Les sénateurs semblent ainsi rechercher davantage une réponse argumentée et donc préparée, ils transmettent donc plus habituellement le thème de la question, là où l’opposition à l’Assemblée utilise les QAG pour chercher à déstabiliser l’Exécutif.
La spontanéité interdit que les informations communiquées soient contraignantes : les questions sont attribuées aux groupes en fonction de leur appartenance à la majorité ou à l’opposition. Ils sont ensuite libres de déterminer celle ou celui qui posera la question pour le groupe. Ils peuvent mettre en avant un élu. Cela a été le cas du groupe DR, qui appartenait encore à l’opposition lors de ces premières QAG, qui a choisi de donner la parole à Justine Gruet, la seule députée vice-présidente. Moyen de démontrer que malgré les critiques relatives à la composition peu paritaire du groupe (13 députées sur les 41 membres à part entière), celui-ci confie des responsabilités importantes aux femmes et aux jeunes. La députée a par ailleurs pris soin de réaffirmer l’identité politique du groupe « réuni autour de Laurent Wauquiez » après la scission du parti LR et le départ de certains de ses élus vers le groupe UDR dirigé par Eric Ciotti.
La retransmission en direct des QAG et leur diffusion sur le site internet de l’Assemblée permet ainsi aux groupes d’adresser un message à l’électorat. D’autres groupes profitent de la présence des élus ultramarins dans l’hémicycle pour leur offrir une tribune politique. Ainsi, le 2 octobre, cinq des onze orateurs étaient des députés d’outre-mer. C’est le cas de l’orateur du groupe EPR, élu de la première circonscription de la Nouvelle-Calédonie.
Cette intervention est remarquable à plusieurs titres. D’une part, Nicolas Metzdorf n’était pas l’orateur initial du groupe qui avait prévu de consacrer sa première question à la politique fiscale et de la confier à l’un de ses Vice-Président, Mathieu Lefebvre, rapporteur de la mission d’information sur le reste à vivre des classes moyennes. D’autre part, il n’est pas habituel que le groupe majoritaire critique le Gouvernement. Or, en application du RAN, le groupe EPR est le groupe majoritaire. En effet, l’article 19, alinéa 4 dispose qu’est groupe majoritaire le groupe le plus important de l’assemblée qui n’a pas déclaré appartenir à l’opposition. EPR est donc censé être le principal soutien du gouvernement. Pourtant, la formulation de la question ne laisse aucun doute, elle critique l’action du gouvernement : « les calédoniens se sont sentis humiliés ». Cette hostilité est partagée par tout le groupe, dont une partie a, la veille, quitté l’hémicycle devant l’abandon du dégel, qui a choisi de confier à cet élu la mission de poser la première question de la législature. Moyen de manifester aux yeux de tous que la majorité qui s’est construite autour de Michel Barnier n’est qu’un mariage de raison.
Conscient de la relativité du soutien d’EPR, Michel Barnier a choisi de se satisfaire de celui apporté par l’opposition sur cette même question, répondant quelques minutes plus tard, alors qu’il avait confié au ministre des outremers le soin de répondre au député EPR, à l’orateur du groupe GDR Emmanuel Tjibaou qui a choisi de « remercier » le Premier ministre. Une opposition remerciant le Premier ministre, une majorité dénonçant l’une des mesures de sa DPG … la clarification souhaitée par le Président de la République au soir du 9 juin n’a définitivement pas eu lieu.
Les prochaines séances de QAG ne devraient pas apporter la clarification attendue. A minima, elles devraient retrouver leur panache, des orateurs expérimentés, qui nous ont peu habitué à lire leur note, ayant rejoint l’Assemblée. Il est d’ailleurs possible de constater que même si l’intérêt du public et des députés avait décru ces dernières années, les QAG ont continué de structurer la vie parlementaire. D’une part, parce qu’elles permettent à l’opposition d’entrer en contact avec le Gouvernement. D’autre part, parce qu’elles concrétisent le droit d’expression des parlementaires, alors que les temps de parole sont de plus en plus contingentés dans la discussion législative. Et c’est à ce titre que les QAG, à leur insu, participent à structurer l’assemblée : afin de bénéficier de ce droit, les parlementaires cherchent à s’associer au-delà de leurs différences politiques pour créer un groupe nouveau qui pourra choisir son orateur et l’actualité sur laquelle il veut questionner le gouvernement, ce que le statut de non inscrit ne permet que de manière très lacunaire. Pour preuve, aucun temps de parole ne leur a été accordé pour cette première séance de QAG. Leur accroissement récent (environ 30% depuis septembre) mérite sans doute que l’on s’intéresse davantage à leur place dans l’assemblée… sans attendre qu’un douzième groupe ne se constitue (1).
(1) La parution prochaine de la journée d’étude organisée en novembre 2023 par D. Connil A. De Montis et P. Monge sur ce sujet devrait pouvoir utilement inspirer une nouvelle réglementation, expérimentale peut-être.