Dérapage en commission Culture

DICOM: Photo officielle de Rachida Dati Ministre de la culture

Par Maxime TORRENTE, Collaborateur parlementaire et auteur pour les cuisines de l’Assemblée

On sait le parcours d’une proposition de loi bien tortueux avant son adoption définitive. Heureusement, il existe une astuce pour certaines d’entre elles : avoir le soutien, plus ou moins explicite, du gouvernement. Tel est le cas pour la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, qui bénéficie de l’appui sans faille de la ministre de la Culture, prête à se battre bec et ongles pour faire prospérer ce texte. Sauf que cette défense a atteint, le 1er avril dernier, une vigueur telle qu’elle pourrait bien entrainer la mort de la réforme.

Il est peu de dire que la proposition de réforme de l’audiovisuel public joue de malchance. Déposée le 21 avril 2023 au Sénat, elle a été adoptée et transmise à l’Assemblée le 13 juin. Cette PPL faisait elle-même suite à l’abandon, en 2020 pour cause de crise sanitaire, d’un projet de loi plus important et général. Elle propose essentiellement la création d’une holding (France Media), regroupant France télévisions, Radio France, France médias monde de l’INA, dont elle détermine également les modalités de gouvernance. Plusieurs mois après, Rachida Dati arrive rue de Valois et décide d’appuyer cette proposition de loi, alors inscrite à l’ordre du jour de la commission des Affaires de la culture et de l’éducation, le 15 mai 2024, et une adoption le 30 mai. 

Dix jours après, la dissolution. L’incertitude, quant à la majorité, puis sur la composition du gouvernement… et ses priorités. La ministre est parvenue à conserver son poste, et à faire réinscrire la proposition à l’agenda de la commission, qui nomme deux nouveaux rapporteurs. Huit jours après, la censure du gouvernement… 

La ministre et son texte protégé ayant passé toutes ces embûches, elle a obtenu de longue lutte l’inscription de celui-ci à la feuille verte du 10 avril prochain. L’examen en commission a donc recommencé mardi après-midi… avec près de 1500 amendements déposés, pour l’essentiel venant de l’obstruction des parlementaires, ayant employé la bonne vieille technique du dictionnaire des synonymes. 

Pour faire face à cette technique d’obstruction, la ministre a déposé un amendement de réécriture générale de l’article premier de la proposition de loi. On le rappelle : les ministres ne sont pas soumis aux délais de dépôt que doivent respecter les députés, et les amendements de rédaction générale sont examinés prioritairement sur ceux qui visent à réécrire une partie des articles. 

Ainsi, par son amendement AC1063, la ministre allait faire « tomber » les centaines d’amendements déposés à l’article premier, permettant de faire gagner de précieuses heures d’examen. Or, deux problèmes se sont posés. 

Le premier est symbolique : s’il est courant qu’un ministre vienne défendre un projet de loi dont il a la responsabilité en commission, il est en revanche très rare que le Gouvernement intervienne, à ce stade de la discussion, sur une proposition parlementaire. La présence de la ministre de la Culture avait donc de quoi, en elle-même, placer les députés d’opposition sur la défensive. 

Le second est technique : l’amendement initialement déposé par la ministre réécrivait donc l’entièreté de l’article, sur un dispositif de trois pages… pour procéder à seulement trois légères et éparses modifications tout au long de l’article amendé, le reste étant en tous points identique (vous trouverez ici l’amendement initialement déposé par la ministre, et l’article à amender pour vous faire une idée). 

La séance a donc été suspendue une bonne demi-heure, le temps pour les services de la commission de procéder à une lecture de l’amendement. Lesquels services ont donc légitimement refusé la rédaction de l’amendement initial, et ont scindé l’amendement gouvernemental en plusieurs, chacun à sa place. Il s’agit là d’une simple correction formelle, comme il en est procédé chaque jour pour les amendements parlementaires… sauf qu’en l’occurrence, cette simple correction est venue contrarier l’objectif assumé du gouvernement de gagner du temps.

La ministre a donc contesté avec véhémence cette réécriture de son amendement à l’encontre de l’administratrice présente. Les quelques députés présents, de l’opposition et du bloc central, ont pu constater la vivacité inhabituelle des échanges… À la reprise des travaux, la présidente de la commission a fait état de l’incident, et déclaré qu’elle ne tolèrerait pas de nouveaux écarts de comportement envers l’administration. L’examen du texte a ensuite repris son cours, pendant une heure, jusqu’à la levée de la séance pour le dîner, avant une reprise prévue à 21h30. Reprise qui n’est pourtant jamais survenue.

C’est le lendemain matin que la commission reprenait ses travaux mais, à titre préalable, la présidente de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation était revenue sur l’incident, et avait demandé à ce que la ministre présente des excuses à l’administratrice prise à parti la veille, possiblement en privé si la membre du gouvernement préférait ainsi. La ministre a démenti les faits reprochés, ne rapportant qu’un « débat vif » au sujet de la rédaction de l’amendement gouvernemental, et arguant que, les travaux avaient repris sereinement pendant près d’une heure la veille après la suspension, l’incident était clos et des excuses n’avaient pas à être présentées. La présidente de la commission a alors suspendu la séance, qui ne reprendra pas. 

La présidente de l’Assemblée nationale s’est alors saisie de l’affaire, organisant une entrevue entre les protagonistes afin d’obtenir une conciliation, vainement, la ministre maintenant sa position présentée plus tôt dans la matinée. 

Le soir, une réunion a eu lieu entre le Premier ministre, le ministre chargé des relations avec le Parlement, et la ministre de la Culture. Officiellement pour prendre acte du retard pris en commission sur l’examen du texte et évoquer l’embouteillage législatif la semaine dans lequel la proposition de loi allait s’insérer, mais il y a peu de doute possible quant à l’évocation du différend entre la ministre et les services de l’Assemblée.

On se retrouve là face à deux versions qui se font dos à dos, sans pouvoir percer le huis-clos des réunions et des échanges qui se sont tenus hors champ des caméras. Il est néanmoins nécessaire de rappeler que les administrateurs ont toujours tenu à leur réputation constante de neutralité, de professionnalisme et de service auprès de leurs interlocuteurs, et que, s’il n’y avait eu réellement aucun incident, il est très difficile d’imaginer qu’ils se prêtent à un jeu politique quelconque. 

Le bureau de l’Assemblée n’ayant de pouvoir disciplinaire que sur les députés en vertu de la séparation des pouvoirs, il est impossible de prendre la moindre mesure à l’encontre d’un membre du gouvernement, mais seulement d’en référer au Premier ministre. Tout repose alors sur le rapport de force, entre « le premier des ministres » et l’un d’entre eux, donc sur la personnalité et le poids politique de l’un et de l’autre. 

On a aussi découvert un autre moyen de sanction : bien que le Gouvernement tienne toujours la maîtrise de l’ordre du jour, la présidente de la commission a fait usage de son pouvoir de lever la séance peu de temps après l’avoir ouverte, étalant à l’envi l’examen d’un texte auquel tient le gouvernement. Outil improvisé de pression là où il n’en existait pas… ou obstruction d’un nouveau genre ?