Le 29 septembre dernier, dans une déclaration faite au JDD, le ministre de l’Intérieur chargé de garantir les libertés publiques, déclare « L’État de droit ça n’est pas indérogeable ni sacré. […] La source de l’État de droit c’est la démocratie ». Après un communiqué qui pouvait sembler sonner comme un mea culpa, Bruno Retailleau, à l’occasion de son audition devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale, déclare, le mardi 2 octobre : « à aucun moment je n’ai voulu abolir l’État de droit. J’ai simplement dit qu’il fallait déplacer le curseur dans l’État de droit comme au moment du terrorisme et du covid entre libertés publiques et protection de la société. Il n’y a pas d’impossibilisme juridique ». Sur une interview télévisée, il affirmait que les Français, à condition de pouvoir en être saisis, peuvent tout faire par la voie référendaire. Or l’article 11 de la Constitution relatif au référendum ne semble pas permettre, en l’état, d’interroger les citoyens français sur le champ de l’immigration (ce point ayant notamment été exclu lors des débats constitutionnels relatifs à la révision constitutionnelle de 1995, élargissant le champ de l’article 11). Le 3 octobre, 170 parlementaires signaient une tribune en soutien au ministre de l’Intérieur : « L’État de droit est essentiel à la démocratie mais il n’a jamais été figé ».
L’État de droit serait alors conçu comme une variable d’ajustement dictée par les contingences politiques et sociétales. Le dogme majoritaire pourrait ainsi être amené à remettre en cause les droits des minorités, aboutissant à une forme démocratique dite « illibérale », ne correspondant pas aux valeurs de la République française. La Démocratie, si elle prévaut sur l’état du droit, n’est pas supérieure à l’État de droit : elle en est une composante. Le Constitutionnalisme en tant que moyen de concrétisation de l’État de droit est au service même de la démocratie. Il n’existe pas de démocratie sans État de droit. De même que la démocratie comme modèle de société est la forme la plus accomplie de l’État de droit. S’affranchir du cadre constitutionnel sous couvert de la volonté populaire comme le laisserait à penser Bruno Retailleau contreviendrait à la démocratie elle-même.
L’État de droit est bien une composante de la démocratie. Conjuguer Démocratie et État de droit, ce n’est pas donner un certain contenu à la notion de démocratie, mais assurer formellement le respect de l’acte démocratique fondateur et souverain du corps constituant. Ne pas contrôler cet aspect y compris dans le cadre référendaire reviendrait à nier le socle même de la démocratie constitutionnelle, à savoir la fiction juridique selon laquelle il ne peut exister de souverain absolu comme le démontre Olivier Beaud (1). Postuler que toute expression directe constituerait la souveraineté même du peuple entraînerait « une confusion entre le juridique et le politique » (2), potentiellement nuisible aux garanties du citoyen destinataire du droit. D’un côté, la Ve République se fonde sur le peuple, conçu comme étant la source du pouvoir. De l’autre, l’État de droit est sacré en tant que véritable corollaire de la sécurité juridique des citoyens. Les citoyens sont les détenteurs certes de droits politiques actifs mais également de droits et libertés qui leur sont garanties, c’est-à-dire non soumis à l’effervescence de l’immédiateté, notamment aux fluctuations de majorités faibles et éphémères.
L’État de droit suppose qu’il n’existe pas de Souveraineté absolue d’un quelconque pouvoir, y compris populaire. Il correspond à un équilibre finement construit. L’État de droit ou plutôt le patrimoine constitutionnel français sur lequel repose le Contrat social c’est-à-dire l’acte de « Faire société » est basé sur la séparation des pouvoirs, la liberté, l’égalité, l’universalisme à travers les garanties des droits de l’Homme et du Citoyen placées au sommet de la hiérarchie des normes. La « démocratie des droits » apparaît comme la résultante de la doctrine du Constitutionnalisme, au sein de laquelle la Constitution, comme « moyen de la démocratie » (3), permet « la démocratie par le droit » (4) en protégeant le citoyen destinataire à travers l’ordre constitutionnel, patrimoine constitutionnel duquel il est, à l’origine, en tant que pouvoir constituant originaire et donc souverain absolu. En le ratifiant, il a accepté de limiter ses compétences précisément au nom de sa liberté. Il y a fort à parier que le Conseil constitutionnel pourrait emprunter ce chemin du contrôle référendaire a priori (au moment du contrôle des actes préparatoires au référendum), la porte étant ouverte depuis la jurisprudence Hauchemaille (2000).
De façon plus pratique, le grand gagnant des législatives, le Front Républicain se retrouve perdant. En dépit de cette victoire, c’est bien le Rassemblement National (RN), arrivé en troisième position qui dispose d’une place de choix dans cette configuration. Le gouvernement choisi donne des gages au RN, sur lequel repose toute la stabilité gouvernementale pour ne pas tomber sous le coup d’une motion de censure. La nomination de Bruno Retailleau, incarnation du symbole de la droite dure au ministère de l’Intérieur, en constitue une illustration. La remise en cause de l’État de droit couplée aux achoppements juridiques sur la séquence post-législative (y compris à l’Assemblée nationale avec l’élection ou plutôt la réélection de la Présidente, le problème du pluralisme non-représenté au Bureau, la question du gouvernement démissionnaire, etc.) contribue à la déliquescence du patriotisme constitutionnel ressenti par les citoyens dans la crise politique que nous traversons et qui pourrait bien se transformer en une crise institutionnelle, si tel n’est pas déjà le cas.
(1) BEAUD O., « Le Souverain », in : Pouvoirs, n°67 1993, pp. 33-45.
(2) FATIN-ROUGE STÉFANINI M., Le contrôle du référendum par la justice constitutionnelle, Economica, PUAM, Collection droit public positif, septembre 2004, 381p., spéc., p. 337.
(3) ROUSSEAU D., « Constitutionnalisme et démocratie », in : laviedesidées.fr, 19 septembre 2008.
(4) idem.