Les conventions citoyennes saisies par la Constitution

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Par Anne-Sophie TRAVERSAC,  Maître de conférences en droit public à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas

La proposition de loi constitutionnelle visant l’instauration de conventions citoyennes présentée le 15 janvier 2025 vise à instaurer une « nouvelle structure pour le débat public ». Il s’agit pour l’essentiel de l’inscription d’un nouveau titre XI ter au sein de la Constitution de la Ve République consacré aux « conventions citoyennes » : elles pourraient être à l’initiative de citoyens par la voie de la pétition et seraient organisées par une nouvelle « commission de la participation citoyenne » rattachée au Parlement. Outre une mise en action différente de ce qui existe actuellement, la proposition de loi constitutionnelle vise également à mieux prendre en compte le résultat d’une telle convention, dont les propositions deviendraient des propositions de lois déposées sur le bureau de l’une des assemblées, avant une procédure législative aménagée puis un vote.

La proposition de loi constitutionnelle, présentée par des députés de gauche, prend ainsi acte des défauts et lacunes des expériences passées tout en mettant très largement de côté le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) qui était, depuis la loi organique de 2021, devenu ou largement reconnu comme le vecteur exclusif de ces conventions.

Les conventions citoyennes sinscrivent dans un débat politique et constitutionnel désormais bien connu, elles visent à répondre ou du moins à constituer une réponse à la crise institutionnelle. 

Le constat d’une désaffection voire d’un désintérêt est déjà relativement ancien : la participation électorale, certes inégale selon les scrutins, est régulièrement faible ; le référendum tel qu’inscrit à l’article 11 de la Constitution n’est plus pratiqué, même si des appels en ce sens pourraient être cités, et en dépit de la consécration constitutionnelle d’un référendum d’initiative partagée par la révision de 2008. En considérant les projets de loi constitutionnelle de 2018 visant une démocratie « plus représentative, responsable et efficace » et de 2019 prônant un « renouveau de la vie démocratique », la proposition de loi constitutionnelle de janvier 2025 emprunte un chemin déjà connu et n’ayant à ce jour abouti à aucune évolution du texte constitutionnel. 

Un constat lapidaire et cruel dressé contre le Conseil Économique, Social et Environnemental

C’est en prenant acte des échecs des projets de lois constitutionnelles tels qu’ils ont été présentés en 2018 puis en 2019 qu’a été adoptée la loi organique du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental. En effet, la « Chambre de la société civile » dans le projet de 2018, puis le « Conseil de la participation citoyenne » dans le projet de 2019, n’ayant pas abouti, le législateur organique a procédé à plusieurs modifications substantielles. La proposition de loi constitutionnelle de janvier 2025 peut à ce titre surprendre. D’une part, l’exposé des motifs ne consacre qu’à peine cinq lignes pour dresser un constat froid et cruel : le CESE « ne parvient pas à influencer la prise de décision. Ses études et avis sont souvent ignorés par le Parlement et par le Gouvernement, conduisant certains élus à demander sa suppression ». Cette mention, rude, peut surprendre, dans la mesure, d’abord, où la suppression du CESE était jusqu’alors plutôt envisagée par des acteurs politiques d’un camp opposé à celui des parlementaires à l’initiative de ce texte. Le texte semble d’ailleurs cantonner le CESE à un rôle associatif et syndical. 

Avec la loi organique de 2021, le cadre de conventions citoyennes semblait relativement fixé, sans être figé, par le législateur organique qui, d’ailleurs, évoquait la « consultation du public », l’expression « convention citoyenne » s’est toutefois imposée. En effet, si des initiatives de participation diffuses ont existé, deux occurrences peuvent être particulièrement signalées : la convention citoyenne sur le climat (2020), installée au Palais d’Iéna pour ses travaux, préfigurant les conventions organisées par le CESE au titre de la loi organique de 2021, notamment la convention citoyenne sur la fin de vie (2023) organisée dans ce cadre. Une troisième convention a été récemment annoncée par le Président de la République. En ce sens, il pouvait être admis que le CESE était l’artisan exclusif de cet exercice collectif. La proposition de loi constitutionnelle choisit pourtant vraisemblablement d’ignorer la loi organique et les perspectives ouvertes au sein du CESE pour prendre une autre voie : les conventions citoyennes seraient alors organisées par une « commission de la participation citoyenne rattachée au Parlement ». Maigre compensation pour le CESE : parmi les membres de ladite commission, cinq seraient désignés par le Président de l’Assemblée nationale, cinq par le Président du Sénat, dix enfin seraient désignés par le Président du CESE, la « configuration politique des assemblées » et « catégorielle du Conseil » devant être respectée. Il s’agirait alors pour le Président du CESE de désigner soit des « sur-membres » (membres du CESE appelés à siéger également dans ce cadre, sauf règle à établir l’interdisant) soit des « représentants » des catégories du CESE mais n’y siégeant pas. La commission compterait également vingt membres des précédentes conventions.

Plusieurs aspects des expériences antérieures sont néanmoins repris voire calqués : les membres de la convention seront tirés au sort (le sort pourra même s’acharner pour qu’ils siègent ensuite dans la commission de la participation citoyenne), ils auront « reçu une formation appropriée », selon l’exposé des motifs. 

Quels sont les apports préconisés par la proposition de loi constitutionnelle ? 

Le texte ambitionne certainement de corriger les lacunes et défauts des expériences passées. L’exposé des motifs reste malheureusement laconique sur cet aspect évoquant tout de même la « grande répercussion » des conventions précédemment organisées, mais soulignant un déroulement « largement improvisé » – ce qui peut surprendre au moins pour celle relative à la fin de vie, là encore le CESE pourrait peu apprécier – et des « conséquences politiques (…) demeurées confuses », ce qui est en revanche exact. En effet, la convention citoyenne sur le climat ne tenait que de la volonté présidentielle, tant dans sa mise en place que dans son résultat : l’engagement présidentiel de reprendre « sans filtre » les propositions était une promesse, à laquelle s’est finalement ajoutée une limite concrétisée par plusieurs « jokers ». La convention citoyenne sur la fin de vie connait à ce jour un sort encore incertain, étant une victime collatérale de la dissolution (juin 2024). C’est bien sur ce point que la proposition de loi constitutionnelle entend améliorer le dispositif : tant dans la mise en action d’une convention que dans la reprise de ses travaux. 

D’une part, la proposition de loi constitutionnelle innove quant à la mise en action. L’actuelle loi organique relative au CESE permet la « consultation du public » à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat. La proposition de 2025 permet une initiative citoyenne : les conventions pourraient alors être créées par l’initiative du Premier ministre, de soixante députés ou soixante sénateurs, mais également par « l’exercice du droit de pétition », ce dernier étant ouvert devant le CESE à ce jour, sauf si la loi organique rendue nécessaire par l’adoption hypothétique de cette proposition n’en décidait autrement. Ainsi, le dispositif est novateur quant à l’initiative de la convention, répondant à l’écueil connu actuellement d’un mécanisme à la discrétion politique du chef de l’État (la première convention était convoquée par lettre de mission du 2 juillet 2019 d’Édouard Philippe, alors Premier ministre en exercice, sur annonce présidentielle, tandis que la seconde a été convoquée par la Première ministre E. Borne, conformément à la loi organique de 2021 qui lui en donne la prérogative, mais toujours explicitement liée à l’annonce présidentielle). Signalons également que les conventions créées auraient un objet plus large : elles pourraient porter sur toute « question d’intérêt général ». 

D’autre part, la proposition de loi constitutionnelle entend ouvrir l’initiative de la loi (art. 39 C.) non plus réservée au Premier ministre ou aux membres du Parlement : les propositions de la convention citoyenne prendraient alors « la forme d’une proposition de loi », des membres de la convention « désignés » par elle la présenteraient en commission devant l’assemblée saisie, la convention rendrait ensuite un avis sur le texte voté, puis la deuxième assemblée examinerait le texte avant la réunion d’une commission mixte paritaire, en cas de désaccord dans ce cadre, le texte serait soumis au vote de l’Assemblée nationale. Le dispositif envisagé permet de répondre au second écueil connu, celui de la mise en sommeil des propositions faites par les conventions citoyennes. La proposition est disruptive au regard de l’initiative de la loi telle que consacrée dans l’histoire constitutionnelle française et pratiquée au fil des régimes parlementaires. L’objectif premier est naturellement d’imposer l’examen du texte mais en imposant également les membres de la convention, aspect qui ne peut qu’étonner et dont il faut mesurer plus finement les conséquences dans la mesure où cela continue de déposséder les représentants de la nation du rôle qui est le leur. L’examen de la proposition de loi serait alors sous surveillance, tant par l’avis que la convention devrait rendre sur le texte voté par la première assemblée saisie, que par la participation de membres au sein de la commission mixte paritaire : ces derniers seraient en nombre identique au nombre cumulé de sénateurs et de députés, ce qui doit surprendre. Plus qu’être sous surveillance, les membres du Parlement et encore plus les membres de la Commission mixte paritaire seraient mis en concurrence. En ce sens, en visant à répondre à l’écueil d’une mise en sommeil relativement aisée des propositions issues d’une convention citoyenne, les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle présentent un dispositif disruptif, complexe voire compliqué et aux conséquences majeures pour une représentation nationale déjà affectée de nombreux maux.

Pour conclure, la proposition de loi constitutionnelle visant l’instauration de conventions citoyennes vise à répondre aux écueils identifiés à ce jour quant à cette modalité nouvelle de participation des citoyens à l’intérêt général ; s’éloignant du Conseil économique, social et environnemental, aujourd’hui principal artisan de ces conventions, la proposition élabore une architecture assez complexe : s’appuyant sur lui sans paradoxalement préserver le rôle que le législateur organique lui a, notamment, confié depuis 2021. Une voie médiane plus évidente aurait pu être envisagée, par exemple, la création d’une convention par l’initiative citoyenne (y compris par le droit de pétition) au sein même du CESE ; plusieurs options seraient également envisageables pour que le résultat des conventions soit mieux pris en compte.

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