Retour sur la nomination du Gouvernement le plus minoritaire de la Ve République

nomination

Par Basile RIDARD,  Maître de conférences à l’Université de Lille

 

Plus d’un mois et demi après la nomination du Gouvernement Barnier, celui-ci apparaît plus que jamais en sursis, les groupes parlementaires théoriquement pro-gouvernementaux s’étant déjà divisés sur plusieurs mesures du projet de loi de finances examiné à l’Assemblée nationale. Ces divisions, particulièrement délétères pour la cohésion gouvernementale, ont aussi conduit récemment à l’élection d’une présidente de commission et d’un vice-président de l’Assemblée tous deux issus du Nouveau front populaire. Si la fragilité de ce Gouvernement s’explique par une certaine forme de tripartition politique inédite à l’Assemblée nationale à l’issue des résultats des élections législatives et des négociations qui en ont résulté, celle-ci trouve aussi sa source dans les conditions peu favorables dans lesquelles cette équipe ministérielle a été constituée. L’équilibre des forces politiques, dévoilé au soir du scrutin du 7 juillet, n’a jamais semblé aussi délicat à appréhender depuis le début de la Ve République, prolongeant ainsi une période d’incertitude déclenchée par la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République, le 9 juin dernier. Depuis 1958, la nomination du chef du Gouvernement ne présentait pas de difficulté particulière pour le Président de la République, y compris en période de cohabitation. Cette mission s’est avérée d’autant plus complexe à mener que le chef de l’État ne s’y est pas employé autant que nécessaire pour surmonter la grande épreuve politique de cet été olympique. En règle générale, le Président jouit d’une large marge de manœuvre en matière de nomination, ce processus étant réglé en peu de mots par la Constitution. L’article 8 énonce en effet simplement que « le Président de la République nomme le Premier ministre » et que « sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ».

Souvent réglée en quelques jours, cette étape politique cruciale s’est prolongée pendant presque deux mois en vue de la nomination de l’actuel Premier ministre, Michel Barnier, tandis que la nomination du Gouvernement a demandé un peu plus de deux semaines supplémentaires. Tout au long de cette période, de nombreuses critiques ont été émises sur la lenteur du processus de nomination et sur les difficultés liées au maintien prolongé d’un simple Gouvernement d’affaires courantes par le chef de l’État. Ce dernier a refusé de nommer au poste de Premier ministre la candidate du Nouveau front populaire dès l’annonce de sa candidature, en affirmant que « la question n’est pas un nom » mais celle de savoir « quelle majorité peut se dégager à l’Assemblée pour qu’un Gouvernement de la France puisse passer des réformes ». Alors même que le Président a ainsi clairement formulé l’enjeu de la nomination d’un nouveau Gouvernement le 23 juillet dernier, force est de constater qu’il n’a pas œuvré de manière méthodique pour atteindre ses objectifs.

De nombreuses critiques ont porté sur le fait que la nomination du Gouvernement avait trop tardé. Or, au regard de la pratique de nombreux régimes parlementaires étrangers, celle-ci ne semble pas avoir été particulièrement tardive. La tenue de négociations de quelques semaines ou de quelques mois en vue de la formation d’un Gouvernement est en effet monnaie courante dans la majorité des systèmes européens. Ainsi, en Belgique, le nouveau Gouvernement n’est toujours pas formé depuis les élections législatives du 9 juin dernier. La situation est loin d’être jugée exceptionnelle dans cet État, détenteur du record mondial en la matière, établi en 2011 avec une période de 541 jours préalable à la nomination du Gouvernement Di Rupo. Le recours à des exemples étrangers consiste non pas à faire l’éloge de la lenteur du processus de formation du Gouvernement, mais à identifier des pratiques qui auraient pu utilement inspirer le Président de la République française au cours de l’été dernier. Le problème n’est donc pas tant la durée du processus que l’absence de définition d’une méthode claire par le chef de l’État dans sa Lettre aux français du 10 juillet 2024, qui a posé des difficultés à la nomination d’un Gouvernement doté d’un socle plus stable que celui, chancelant, sur lesquelles il repose aujourd’hui :

« Président de la République, je suis à la fois protecteur de l’intérêt supérieur de la Nation et garant des institutions et du respect de votre choix.

C’est à ce titre que je demande à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays. Les idées et les programmes avant les postes et les personnalités : ce rassemblement devra se construire autour de quelques grands principes pour le pays, de valeurs républicaines claires et partagées, d’un projet pragmatique et lisible et prendre en compte les préoccupations que vous avez exprimées au moment des élections. Elle devra garantir la plus grande stabilité institutionnelle possible. Elle rassemblera des femmes et des hommes qui, dans la tradition de la Vème République, placent leur pays au-dessus de leur parti, la Nation au-dessus de leur ambition. Ce que les Français ont choisi par les urnes – le front républicain, les forces politiques doivent le concrétiser par leurs actes.

C’est à la lumière de ces principes que je déciderai de la nomination du Premier ministre. Cela suppose de laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir ces compromis avec sérénité et respect de chacun. »

En d’autres termes, ce cadre présidentiel particulièrement vague n’a pas permis le développement de négociations suffisamment sérieuses et approfondies entre des partis politiques aux positions contrastées pour établir un socle commun susceptible de réunir une majorité absolue de députés. Dans de nombreux régimes parlementaires étrangers, au contraire, la nomination du Gouvernement est précédée de négociations détaillées portant sur la répartition politique des postes ministériels et sur un programme de coalition précis qui permet alors d’en garantir la pérennité.

Ces deux aspects sont centraux dans le processus de formation du Gouvernement, qui n’est généralement pas précisé dans le texte constitutionnel mais s’est développé peu à peu sous la forme de simples pratiques politiques. Si le système belge ne constitue pas un modèle au regard de la lenteur régulière de son processus de nomination, il prévoit en revanche un processus de formation gouvernementale très élaboré. À l’issue des élections législatives, le Roi nomme le chef du parti politique sorti en tête des élections au poste « d’informateur » et le charge de l’informer des différentes coalitions possibles. Le cas échéant, il peut le nommer « préformateur » puis, lorsque les positions des potentiels partenaires de coalition ont été clarifiées, lui confier le soin de former la nouvelle coalition, auquel cas il devient « formateur ». Cette structuration par étapes du processus préalable à la nomination du Gouvernement est également bien établie en pratique en Autriche et en Allemagne, où les partis politiques entament dans un premier temps des « discussions exploratoires » (Sondierungsgespräche), avant de s’engager plus avant dans des « négociations de coalition » (Koalitionsverhandlungen).

Le contrat de coalition est bien entendu au cœur de ces négociations entre partis et les échanges à ce sujet peuvent se prolonger, comme dans ces deux derniers États, où la durée totale du processus est en moyenne de deux mois. Cette période d’élaboration d’un programme commun, bien que relativement longue, s’avère essentielle pour garantir la stabilité du Gouvernement de coalition dans le temps. La conclusion de cet accord est souvent l’étape décisive de la formation du Gouvernement et ce document peut être très exhaustif : à titre d’exemple, le contrat de coalition conclu après les élections législatives fédérales allemandes de 2021 correspond à un document de 177 pages. Alors que ces accords de Gouvernement sont tout particulièrement ancrés dans le cadre des démocraties de coalition dites « consensuelles » (1), certains États peu coutumiers des Gouvernements de coalition ont pu s’y essayer avec un relatif succès : en 2010, au Royaume-Uni, les leaders des partis conservateur et libéral-démocrate ont négocié en quelques jours seulement un programme politique commun afin de former un Gouvernement de coalition et ont été nommés respectivement Premier ministre et vice Premier ministre.

Tout à fait étrangères à la culture politique de la Ve République, caractérisée par la confrontation et aux antipodes du consensus, les négociations politiques préalables à la formation d’une coalition gouvernementale gagneraient à être davantage structurées. Le développement d’une véritable méthode dans le cadre de ce processus pourrait permettre l’émergence d’un Gouvernement de coalition s’appuyant sur une majorité parlementaire clairement définie pour lui permettre de gouverner. Au lieu de tenter trop tardivement « d’asseoir son autorité sur sa coalition gouvernementale », une fois ses ministres nommés, le Premier ministre Michel Barnier aurait eu tout intérêt à s’assurer, en amont de leur nomination, qu’ils respecteraient bien la ligne politique définie, au moyen d’un contrat de coalition détaillé lui permettant de fonder son action et de l’inscrire dans la durée. Dans ce contexte politique incertain, il est permis d’espérer que la formation d’un prochain Gouvernement fournira l’occasion de s’inspirer de certaines pratiques étrangères largement éprouvées. Ce n’est donc qu’une question de temps et de volonté politique.

(1) Alexis Fourmont, « Coalition », in Damien Connil, Priscilla Jensel-Monge et Audrey de Montis (Dir.), Dictionnaire encyclopédique du Parlement, Bruylant, 2023, p. 198.

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