Au cœur des droits : le rôle essentiel du Défenseur des droits

Par Bérénice FARVACQUES, étudiante de Master 2 à l’Université de Lille

Compte-rendu de la Conférence du 24 septembre 2024 à 18h à l’Université de Lille portant sur « Le rôle actif du Défenseur des droits ». 

Le 24 septembre 2024, la faculté des sciences juridiques économiques et sociales de l’Université de Lille avait l’honneur d’accueillir la Défenseure des Droits, Madame Claire Hédon, lors d’une conférence organisée par la Chaire d’études parlementaires. Elle a porté sur une présentation, non exhaustive, de ses fonctions, ses missions, ses modalités de saisine et ses principales luttes contre les discriminations.

Autorité administrative indépendante créée par la profonde révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, consécutive aux travaux du Comité Balladur, le Défenseur des droits trouve désormais sa place à l’article 71-1 de la Constitution française du 4 octobre 1958. En effet, la nécessité est apparue d’instaurer une autre voie que celle des juridictions pour s’assurer de l’accès aux droits. L’on soulignera d’ores et déjà qu’elle est la seule autorité administrative indépendante à s’être vu conférer ce statut inscrit dans la Constitution ce qui, a fortiori, lui procure une légitimité accrue.

La fonction est occupée, depuis le 22 juillet 2020, par Claire Hédon, juriste de formation, journaliste de profession, puis Présidente de l’ONG ATD Quart Monde, par vocation. Elle a exposé ses principales missions – traiter les réclamations et promouvoir les Droits et libertés – autour d’une idée commune : défendre les droits des justiciables.

Le terme « Justiciables » est justifié, car le Défenseur des droits ne se soucie pas uniquement des droits des administrés ou citoyens français ; il a pour rôle de se préoccuper de tous les justiciables sur le territoire français, incluant ainsi les personnes qui n’ont pas le droit de vote, tels que les étrangers et les mineurs.

Le Défenseur des droits veille à ce que les droits garantis par la Constitution et la loi soient bien respectés par l’ensemble des personnes publiques tels l’État, les collectivités locales ou établissements publics, ainsi que les personnes en charge d’une mission de service public. Toute personne se sentant lésée dans ses droits peut s’adresser à lui par tout moyen. En ce sens ont été créées par la loi organique du 29 mars 2011 des délégations régionales du Défenseur des droits, assurant des permanences dans des centres d’accueil, permettant une facilité d’accès à l’institution ; on compte à ce jour 600 délégués territoriaux.

Le Défenseur des droits peut, par ailleurs, être saisi par courrier, via son site internet, ou par téléphone ; un numéro gratuit (31 41) a été mis en place pour les détenus, afin qu’ils puissent faire remonter leurs difficultés d’accès aux soins, les atteintes aux droits en détention, l’interruption du lien familial ou encore d’autres hypothèses.

Par ailleurs, la Défenseure a présenté plus concrètement quelques thématiques récurrentes de son activité et fait part, pour chacune d’elles, de ses préoccupations quant à la garantie de nos droits. Ainsi, Claire Hédon a pu nous évoquer quelques préoccupations concernant le droit des étrangers, mettant en exergue les difficultés, elles-mêmes reconnues par la Cour des comptes, d’une diminution trop brutale des effectifs en préfecture avec la globalisation de la numérisation.

Claire Hédon se dit par ailleurs « frappée » par l’éloignement des services publics avec la population en général.

« La dématérialisation ne peut pas être la seule entrée du service public »

En France plus de 4 millions de personnes n’ont pas encore accès à internet. Et comme l’expliquait la Défenseure des droits lors de cette conférence du 24 septembre, la dématérialisation contribue au non recours et à l’abandon d’un certain nombre de démarches, ce qui est d’autant plus flagrant en droit des étrangers.

Concernant les discriminations en général, la Défenseure a évoqué des chiffres clés : l’enquête « Trajectoires et Origines 2 » (TEO) de 2023 (1) démontrait que 19% des 18 à 49 ans ont déclaré avoir subi des discriminations, tandis qu’en 2008, ils étaient 14%. Il y a certes une augmentation du sentiment discriminatoire, mais ce n’est pas le plus marquant ; chez les femmes, ce sont 52% qui évoquent avoir été discriminées ces dernières années et seules 5% d’entre elles sont allées devant les juridictions ou le Défenseur des droits pour faire valoir leurs droits.

« Il y a une grosse désinformation des citoyens et de leurs droits »

L’enseignement supérieur n’est pas épargné par ces discriminations. Selon l’étude « ACADISCRI » (2), la moitié du personnel a déjà subi un traitement inégalitaire, même s’il ne s’agirait pas de discriminations au sens strict, mais plutôt de micro-comportements agressifs. Du côté des étudiants, le constat n’est pas mieux : plus d’un étudiant sur six déclare avoir subi au moins une à deux reprises, dans ses études, des agressions sexuelles.

Cela soulève d’ailleurs ici une problématique : le Défenseur des droits n’est pas compétent pour les matières relevant des violences sexuelles, sauf pour les mineurs. Il est compétent en matière de harcèlement sexuel et de refus de dépôt de plainte lorsqu’il est considéré comme discriminatoire, mais incompétent à l’égard des violences.

Enfin, l’une des plus grandes préoccupations de la Défenseure en matière de discriminations sont les contrôles d’identités discriminatoires.

« Il faut une traçabilité individuelle pour que les citoyens aient une voie de recours »

 

Dès 2017, les enquêtes menées par l’autorité administrative démontraient que les jeunes hommes noirs ou d’origine maghrébines avaient vingt fois plus de risque d’être contrôlés que le reste de la population. 

En 2022, le Défenseur des droits a saisi la Cour des comptes pour faire évaluer le nombre de contrôle d’identité ; celle-ci a annoncé 47 millions de contrôles, dont 32 millions de contrôles purs et le restant en contrôles routiers. 

La Défenseure des droits a dénoncé à plusieurs reprises ces contrôles d’identité discriminatoires en effectuant une étude comparée avec ce qui est en vigueur en Angleterre notamment, État qui a instauré un système de traçabilité informatique lors de ces contrôles. Claire Hédon pense néanmoins qu’en France, il y a encore beaucoup à faire pour faire comprendre l’importance de la traçabilité de ces contrôles comme une protection pour la police mais aussi pour le citoyen dont le droit au recours est garanti.

Peut-être une prochaine révision de la loi incluant un article sur les contrôles d’identités discriminatoires ? L’avenir nous le dira

 

Concernant les lanceurs d’alerte, le constat opéré par Claire Hédon est le même : la loi de 2022 lui a confié un rôle pivot en matière de protection et d’orientation des lanceurs d’alerte. Le Défenseur des droits pilote un réseau de 41 autorités externes de recueil des signalements (AERS), qu’elle avait réuni le matin même de la conférence afin de présenter son rapport bisannuel d’état des lieux de la protection des lanceurs d’alerte en France. Si elle constate des avancées, des lacunes persistent cependant dans la compréhension de ce qu’est un lanceur d’alerte. La Défenseure des droits recommande par ailleurs de grandes campagnes de communication pour faire connaître le dispositif. 

Concluant cette conférence, quelques propositions d’amélioration du statut du Défenseur des droits ont pu être formulées lors des échanges, notamment par le Professeur Jean-Philippe Derosier, dans le cadre des travaux du GRÉCI, un Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions qu’il a dirigé tout au long de l’année 2023. Il propose que le Défenseur puisse se voir reconnaitre un accès direct au Conseil Constitutionnel dans le cadre du contrôle des lois a priori et un statut d’intervenant privilégié, ayant un intérêt spécial présumé pour présenter toute observation dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). 

Quant à la crainte des représailles, illustrée par le non recours devant les tribunaux alors même que le justiciable s’est renseigné auprès du Défenseur des droits sur la reconnaissance d’une discrimination et la manière de faire valoir ses droits, l’abandon de la procédure est une vraie thématique à laquelle Claire Hédon propose de remédier en instaurant des peines et amendes plus importantes pour les personnes ayant commis des actes de discrimination. 

Enfin Claire Hédon concluait sur les avancées notables en termes de protection des droits, des libertés et de l’égalité femmes et hommes, des droits LGBTQIA+. Cependant, il y a une nette stagnation, voire une régression quant à la protection apportée aux victimes de discriminations en raison de l’origine. En ce sens il me paraît important de conclure sur cette phrase prononcée par Claire Hédon :

« Le droit est ce qui nous préserve de l’arbitraire, qui garantit à chacun de nous la dignité, la liberté, la sécurité. C’est sur lui qu’il faut nous appuyer pour dessiner l’avenir ».

 

(1) Cette enquête entend analyser les processus d’intégration, de discrimination et de construction identitaire au sein de la population résidant en France métropolitaine.

(2) « ACADISCRI » est une enquête de recherche scientifique qui porte sur la mesure statistique et sur l’analyse de l’expérience des traitements inégalitaires et des discriminations dans le monde académique. Elle concerne à la fois les étudiants et les personnels des établissements d’enseignement supérieurs et de recherche. L’enquête se déroule au travers d’un questionnaire en ligne complété par une série d’entretiens avec des répondants volontaires.

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