Nouvelle composition du Bureau de l’Assemblée nationale : bis repetita

Fauteuil président de l'Assemblée nationale

Par  Gilles TOULEMONDE,  MCF de droit public à l’Université de Lille.

A l’issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet derniers, la vie politique française est apparue plus divisée et polarisée que par le passé. Cela s’est traduit, à l’Assemblée nationale par la création de onze groupes politiques dont huit se sont alors déclarés comme groupes d’opposition (1). Immédiatement après l’élection de la présidente de l’Assemblée nationale, les tractations ont débuté en vue de la composition du Bureau.

Ce dernier est composé de la présidente de l’Assemblée, mais aussi de six vice-présidents, trois questeurs et douze secrétaires. Pour composer ce Bureau, si l’élection est nécessairement de mise pour la désignation du président de l’Assemblée, elle constitue plutôt un mode alternatif de désignation de ses autres membres.

En effet, le Règlement de l’Assemblée nationale prévoit un système complexe permettant de déboucher sur un commun accord des présidents de groupe sur la répartition des postes au Bureau. Chaque fonction se voit attribuer un nombre de points : 4 points pour la présidence de l’Assemblée ; 2 points pour une vice-présidence ; 2,5 points pour un poste de questeur ; 1 point par fonction de secrétaire (art. 10 RAN). Au total ce sont donc 35,5 points qui sont à répartir entre les différents groupes politiques en fonction de leur importance numérique. Au terme d’une réunion autour de la présidente de l’Assemblée, les présidents de groupes tentent de se mettre d’accord sur les différentes fonctions et transmettent les noms de leurs titulaires sans qu’il y ait donc élection. Ce n’est qu’en cas de désaccord entre les présidents des groupes qu’une élection aux différentes fonctions est organisée au scrutin plurinominal majoritaire.

Le 19 juillet 2024, faute d’accord, les députés ont donc procédé à l’élection des vice-présidents, des questeurs et des secrétaires de l’Assemblée nationale. Lors de ces différents scrutins, pour être élu, la majorité absolue est requise lors des deux premiers tours, mais au troisième tour la majorité relative suffit. L’importante polarisation des députés a abouti à ce que plusieurs tours de scrutin soient nécessaires pour parvenir à composer le Bureau sans compter que le premier tour du scrutin consacré à l’élection des vice-présidents a été marqué par une erreur ou une fraude puisque dix enveloppes en trop ont été retrouvées dans l’urne, ce qui a obligé à refaire ce premier tour. Dans ces conditions, c’est au beau milieu de la nuit que certains membres du Bureau ont été élus, parfois parce que d’autres députés étaient partis se coucher !

Le résultat de ces élections peut laisser pantois l’observateur non averti qui se contente de lire l’article 10 alinéa 2 du RAN selon lequel « L’élection des vice-présidents, des questeurs et des secrétaires a lieu en s’efforçant de reproduire au sein du Bureau la configuration politique de l’Assemblée et de respecter la parité entre les femmes et les hommes ». Si ces équilibres auraient pu être respectés en cas de commun accord entre les présidents, le résultat de l’élection s’en écarte largement puisque la gauche forte de 193 députés (un tiers de l’Assemblée) obtient la majorité au Bureau (douze sièges) tandis que le RN et ses alliés ciottistes (142 députés, soit un quart de l’Assemblée) n’obtient aucune représentation au sein du Bureau. Finalement quatorze femmes et huit hommes composent le Bureau de l’Assemblée.

Or le Bureau dispose d’une fonction importante puisqu’il a « tous pouvoirs pour régler les délibérations de l’Assemblée et pour organiser et diriger tous les services » (art. 14 RAN). Il juge de la recevabilité financière des propositions de lois et c’est ainsi qu’il a pu juger recevable, par dix voix contre sept, une proposition de loi tendant à l’abrogation de la réforme des retraites tandis qu’un an auparavant de telles propositions avaient été jugées irrecevables à une époque où le Bureau était composé à majorité de membres de la majorité relative de la XVIe législature. Il a aussi jugé recevable, par douze voix contre dix, une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour en vue de la destitution du Président de la République, tandis qu’en 2016, alors composé principalement de membres de la majorité, il avait jugé irrecevable une telle proposition (voir le Billet de Mathieu Carpentier sur ce point). .

La nomination d’Annie Genevard au Gouvernement alors qu’elle avait été élue vice-présidente de l’Assemblée nationale a obligé à opérer son remplacement au sein du Bureau. Si un accord entre les présidents de groupe avait permis de composer le Bureau, Laurent Wauquiez, président du groupe « Droite républicaine » auquel appartenait Annie Genevard aurait alors proposé un nouveau nom sans que d’autres candidats ne soient proposés par les autres groupes. Mais cet accord ayant été impossible, une élection pour la remplacer était nécessaire. Celle-ci s’est déroulé ce mardi 22 octobre.

Et contre toute attente c’est un député écologiste, Jérémie Iordanoff, qui a été élu vice-président de l’Assemblée, renforçant donc la position du NFP au sein du Bureau. Cette issue s’explique par la division de la coalition gouvernementale qui est encore loin de reposer sur une véritable coalition parlementaire. En effet, au premier tour, cinq candidats se sont affrontés, présentés par les groupes écologiste (Jérémie Iordanoff), DR (Virginie Duby-Muller), RN (Yoann Gillet), Démocrates (Christophe Blanchet) et LIOT (Olivier Serva). Aucun de ces candidats ne recueillant la majorité absolue des suffrages lors des deux premiers tours, un troisième tour a été organisé où la majorité relative suffit à l’élection. Christophe Blanchet choisit de ne pas participer au troisième tour, ne laissant plus que Virginie Duby-Muller représenter la coalition au pouvoir. Pourtant, celle-ci ne parvint à recueillir que 161 voix contre 175 à Jérémie Iordanoff. Des voix, vraisemblablement issues des députés des groupes Démocrates ou Ensemble pour la République, ont donc fait défaut.

Cela n’est pas sans rappeler ce qui s’était produit quelques jours plus tôt lors de l’élection des présidents de commission afin de remplacer ceux ayant été nommés au Gouvernement. En effet, en l’absence d’une véritable solidarité des députés de la coalition gouvernementale, Aurélie Trouvé, députée LFI, avait pu être élue à la présidence de la commission des affaires économiques face à Stéphane Travers (Ensemble pour la République) grâce au manque de soutien à la candidature de ce dernier de la part des membres de la Droite républicaine.

Ces épisodes témoignent de l’extrême tension de notre vie politique et de l’importance de la polarisation des partis qui, même alliés au sein d’une coalition gouvernementale – il est vrai non fondée sur un accord de coalition à l’allemande – ne se sentent pas tenus de faire naître une coalition parlementaire en soutien.

Décidément pour la « majorité », ou ce que l’on appelle parfois encore le « socle majoritaire », perseverare diabolicum.

 

(1) Contrairement au Sénat où les groupes peuvent se déclarer comme « minoritaires », à l’Assemblée nationale les groupes minoritaires sont par défaut les groupes qui ne se déclarent pas comme des groupes d’opposition et qui, ne se déclarant pas d’opposition, ne rassemblent pas le plus grand nombre de députés. Les groupes minoritaires sont donc le groupe Les démocrates et le groupe Horizons et indépendants, tandis que le groupe majoritaire est le groupe Ensemble pour la République. En juillet le groupe Droite républicaine s’est déclaré comme groupe d’opposition.

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